vendredi 30 novembre 2012

*"Je suis devenu aveugle par accident, alors que je n'avais pas tout à fait huit ans."

"Je suis devenu aveugle par accident, alors que je n'avais pas tout à fait huit ans. Complètement aveugle, et définitivement.

Au moins selon les définitions et le dictionnaire de ceux qui ne sont pas aveugles. Car pour moi, il en allait tout autrement.

Je voyais encore.

L'opération ne se produisait plus par l'intermédiaire de mes yeux, cela est vrai. Mais elle se produisait.

Elle avait lieu au dedans de moi, dans un espace intérieur qu'il est difficile de circonscrire, mais, après tout, 
 ni plus ou moins que l'espace extérieur. 

J'insiste.

Toute chose qui venait à ma rencontre  était aussitôt vue, vue et non touchée ou entendue. Elle se dessinait,
prenait forme et couleur sur un écran interne.

Et cela, sans que je fisse rien, pour déclencher le phénomène.

 Au reste, comment aurais-je fait quoi que ce fût, moi qui n'avais encore que huit ans. (...)

J'ai constaté bien souvent que la peur d'un homme, sa colère ou sa tristesse  me sont déjà visibles, alors qu'elles n'ont pas encore paru au niveau de son corps. 

Je ne suis pas plus malin que les autres.

Je n'ai rien à deviner.

Je vois.  Je vois dans les formes du corps, un démembrement....

qui se met en route. Des morceaux entiers de chair, brusquement, reculent, s'affaissent,   ou vibrent de façon dissonante.  

Les couleurs elles-mêmes tournent au rouge, au brun-rouge, elles crient.    

Je me détourne.

La colère a commencé visuellement (pour moi), mais sur le visage, dans les gestes, tels que les yeux physiques, les perçoivent,    la sérénité règne encore.

Tout dépend de l'attention. (...) 

Les vrais yeux travaillent en dedans de nous.

Tant pis sur le vocabulaire fait défaut, s'il est faible.

Voir, c'est un acte fondamental de la vie, un acte indéchirable, indestructible, indépendant des outils physiques dont il se sert.

Voir, c'est un mouvement que la vie fait en nous, avant les objets, avant toute détermination extérieure. Avant les objets, et après eux si, par accident, les  instruments matériels   de la rencontre viennent à manquer.

C'est au dedans de vous que vous voyez.

Si la lumière intérieure ne nous était pas donnée d'abord, et par conséquent les couleurs aussi,  les couleurs qui sont la monnaie de la lumière, jamais nous ne pourrions admirer  les couleurs du monde.

Voilà ce que je sais après vingt-cinq ans de cécité".

Jacques Lusseyran
Le monde commence aujourd'hui.



(Réf. : Sur les épaules de Darwin - France Inter - par Jean-Claude Ameisen)
émission du 10 Novembre 2012

"le lien qui nous rattache aux autres (2)"


  
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mercredi 28 novembre 2012

*Quand j'ai six ans... et avant.....



Aussi loin que je remonte dans le temps, c'est de la période de la Fromentane dont je me souviens le plus, je l'ai déjà dit.

J'ai six ans, et si nous abandonnons à regret la maison familiale avec Léon, Juliette et les oncles célibataires, Yves, Elisée, Gustave, Aimé, l'apiculteur, pour la rue des Cardeurs, au 37, devenue le Forum des Cardeurs depuis, sur Aix, qui a remplacé en partie ses immeubles par de petits restaurants au milieu de la place, ou organisés sur le bas côté, néanmoins très sympathiques, parallèlement à la rue des Cordeliers qui rejoint la Mairie, nous continuerons à nous y réunir en famille, à la Fromentane, pour les fêtes,  en nombre, les célibataires et les mariés, mes cousins et cousines, pour un oui comme pour un non.

Les G..... y sont les métayers du docteur Edouard G..., et entretiennent l'espace agricole, les vignes, les oliviers, les arbres fruitiers, les légumes qu'ils vendent au marché, du côté des paysans, sur la place des Prêcheurs, près du marchand d'anchois, à sa gauche, et à côté des F.... A l'époque. Ils gèrent aussi les chevaux, le matériel.

La Fromentane, c'est la campagne, encore un coin tranquille d'Aix, dans le prolongement des Milles, par derrière, si on emprunte sa petite route, qui verra grandir aux alentours, quelques années plus tard, pour les vrais aixois comme moi, un ensemble de nouveaux quartiers populaires non éloignés de Corsy, de la ZUP, puis de la ZAC.

Pourquoi les choses essentielles ne peuvent-elles être abordées que par des chemins de traverses, parallèlement à d'autres détours, d'autres chemins, presque à la dérobée ?

Une nouvelle vie est à construire, sauvage, solitaire, fuyante, en marge. Ailleurs. Mais aussi pleine de changements, de rencontres.

Une nouvelle existence.

Papa est entré à la SNCF. Il est conducteur principal de locotracteur.

Maman ne travaille pas, et s'occupe de ses deux filles. Ma soeur Gigi et moi, l'aînée.

Mais là, pour le moment, je vis toujours au chemin Valcros, à la campagne, et je goûte toujours avec autant de plaisir les jeux d'observation. J'aime être dehors, en pleine nature.

La tête penchée sur le petit étang plein de nénuphars et de poissons rouges, je suis à la Ganteaume, accompagnée par deux de mes oncles, non loin de la volière remplie de paons qui se montrent beaux avec leur roue magnifiquement colorée, rivalisant les uns des autres, à celui qui emportera ma préférence.

J'entre dans leur jeu de toute puissance, d'apparence visuelle.

La tête penchée sur l'eau, je respire les dernières gouttes d'une pluie salvatrice, contemplant de loin l'arbre qui se dessine en reflet dans un temps arrêté, dans une image perdue entre le sol et le ciel enfin rejoints.

Presque fin octobre. C'est déjà maintenant.

Des jours revêtus d'or et de rouille s'incrustent dans des après-midis provençales, continuent d'enregistrer des températures estivales, jusqu'à presque 30°.

J'ai surpris en me promenant des changements dans les teintes des feuilles des arbres, s'étalant du mordoré à la terre de Sienne, du brun chaud aux reflets dorés, jusqu'à l'ocre rougeâtre, presque grenat par endroit ;
elles sont en avance cette année les couleurs de la pendule automnale qui s'arrête sur la nouvelle saison, recherchant encore une fois des joies très simples.

Je prends corps dans d'autres courbes lumineuses, mélangeant leurs tons chauds.

De chemins en sentiers, et de GR en escalades, je m'habitue à ces heures qui apportent sérénité et renouveau à regarder le temps qui défile et s'échappe, à écouter le bruit du vent dans les branchages.

Son chant a recomposé ce que son cri a déchiré.
Là sur mon vieux cahier barbouillé de mots raturés, remisé aux oubliettes, pour un temps, j'en oublie la prochaine saison qui va se dérouler plus lentement, avec ses jours plus courts.

Ce sera l'âpreté de l'hiver ; ça sera demain.

Si je suis parvenue enfin au coeur de ma mémoire ravivée, au récit que j'ai donné, au fur et à mesure que j'ai cherché au plus profond de moi, j'ai raconté....

J'ai pu recueillir et ressusciter tous les souvenirs que j'espérais voir accourir vers moi, les voyant défiler à la queue leu leu, les uns derrière les autres, en ordre, ou pas, pas toujours.

D'autres aboutissent jusqu'à moi avec complexité, et j'ai dû les arracher parfois violemment, d'aussi loin que je le pouvais.

Je les recueille enfin, assouplis les souvenirs, et je les conserve au nom de la famille, dans le plus petit de mes replis secrets, là où ils se sont terrés, où ils ont été enfermés.

Plus je raconte, et plus je me souviens.

En évoquant maman, papa, les miens, je les ai rencontrés dans mon imaginaire, et je me suis retrouvée, le les ai retrouvés, en tentant de comprendre qui je suis aujourd'hui, et d'où je viens.

Reconnaissante.

J'ai souhaité offrir ce livre de mémoire à Maman, le livre de sa vie, et à ma famille, pour nos origines.

Un souvenir me vient à l'esprit, clairement distinct... devant la maisonnette un large tronc d'arbre est coupé entouré de fourmilières.

J'observe le va-et-vient de leurs occupants, leur travail collectif est impressionnant, les galeries immenses, je les découvre avec amusement et intérêt...

J'ai trois ans et quatre mois, et ma petite soeur Gigi vient de naître.

Le 1er juin 1949.

Je descends trois marches, bien trop hautes pour moi, soutenue par papa, attentifs à ne pas glisser sur les mallons rouges récemment encaustiqués.

Surtout ne pas trébucher aujourd'hui. Ne pas chuter dans l'escalier.

Mon coeur tremblant est suspendu à cette présentation.

Papa me précède et se dirige vers la petite chambre aménagée pour maman, et pour la naissance du bébé ;
un souffle léger de bonheur se balade dans la maisonnée.

Ils vont me présenter ma petite soeur.

J'aperçois maman dans la pénombre de la chambre, transpirante. Elle me semble fatiguée ; là, plein de choses que je ne connais pas ici habituellement : des cuvettes émaillées, des bassines d'eau, des serviettes, du coton, une tiédeur humide, des tâches rosées sur les draps, des odeurs de pharmacie et de médicaments... on me présente un petit être tout fripé, tout rouge lui aussi.

C'est une petite fille, me dit-on. C'est ta soeur. Elle s'appelle Ginette.

Regarde comme elle est belle !

Du haut de ma petite enfance, je ne comprends pas trop ce que cela signifie, si ce n'est que je n'aurais peut-être plus jamais la préférence de maman, ni de papa. Je ne serais plus jamais la seule enfant de la famille.

Mais pour l'instant, je n'y pense pas. Cela n'a pas vraiment d'importance.

Je suis heureuse de voir un petit être tout neuf, avec un joli nez, de beaux yeux, de petites oreilles, et des doigts qui serrent d'autres doigts, ceux de maman, et qui sourit pour l'instant.

Et moi là dedans, qu'est-ce que je deviens ?
"tiens prends-lui sa main, regarde comme elle te serre..."

"oh ! elle me serre fort les doigts...!"

Je réalise la grande chance qui vient de m'arriver, en un instant devenir la petite mère de ma petite soeur, après maman, évidemment.

"Je pourrais la porter quand elle sera plus grande, je pourrai m'en occuper, dis maman ?"
...ça me plairait bien...

C'est un jour mémorable pour la famille, et pour moi surtout.

Je ne sais pas encore que faire un enfant, c'est lancer un défi à la mort, accepter le temps qui s'écoule.

J'ignore encore la relation fusionnelle qui se créera entre cette maman et son enfant.
Mais pour moi aujourd'hui, c'est une révolution. J'ai changé d'état.

De fille unique, je suis devenue la  grande soeur de ce bébé qui vient de naître à la  vie, et j'ai la tête pleine d'interrogations.

Comment est-ce possible que du ventre arrondi de maman, cette chose-là ait pu sortir d'elle ?

Comment est-ce possible que cette petite enfant dans ses bras, et qui pleure maintenant, soit devenue ma soeur, par quel miracle ?

Toutes ces questions me traversent l'esprit, et aucune réponse pour l'instant.

Personne pour y répondre.

Un instant de solitude m'assaille. J'ai grandi d'un seul coup, forcément.

Un volet a claqué, c'est celui de ma chambre. De là-haut une musique s'échappe jusqu'à moi mélodieusement classique.

Curieuse, j'ai grimpé sur le rebord trop étroit de la commode bleue, assortie à mon lit de la même couleur, lui-aussi, ornés tous deux d'hirondelles en fer finement découpées, que je ne parviens pas à soulever avec mes ongles rongés ou trop courts, et voir ce qu'il y a dans les tiroirs, puisque je n'y suis pas autorisée. Justement l'interdiction m'attire.

Et puis c'est l'heure de la sieste, et je n'aime pas dormir l'après-midi.

Je refuse la sieste. Maman ne l'entend pas de cette oreille et m'oblige à me coucher.

Maman, une fois redescendue de l'étage, je peux, quand je le veux, devenir une grande personne, faire comme il me semble, vaquer à mes occupations, sans rendre de compte à quiconque, surtout pas à maman.

Alors pour passer le temps, puisque je n'ai que trois ans pas encore et demi, je commets des bêtises, pendant ce temps de pause.

Une fois dans la chambre, seule, à ne pas vouloir dormir, j'invente des jeux interdits, dont seule j'établis les règles.

Aujourd'hui un de mes pieds ne parvient pas à trouver sa place sur l'étroit rebord de la commode, tandis que l'autre sur le lit glisse. Et moi, bien cramponnée au tiroir trop fermé, j'emporte la commode, en arrière, sur le sol, dans un fracas retentissant.

Maman affolée, redescendue dans la cuisine pour s'occuper de ma petite soeur, quatre à quatre remonte les escaliers, et me trouve les deux jambes en l'air, et en pleurs, au milieu de la chambre, sonnée par la chute, et plus encore par la peur de la réprimande.

Les deux tiroirs se sont ouverts dans la perte de l'équilibre, laissant apercevoir ce que je voulais connaître, en secret. Ce sont des documents familiaux sans grand intérêt pour une enfant de mon âge.

Mais ne dit-on pas que la curiosité est un vilain défaut. Ce jour-là je l'ai découvert à mon détriment...

Hier comme aujourd'hui, je ne veux pas dormir, et pour m'occuper, comme je ne peux rien faire, j'écoute sur la dernière marche des escaliers, juste avant ma chambre, j'écoute les grands, qui en bas, boivent le café.
Ce sont des paroles d'adultes. Je ne comprends pas tout. Mais c'est mieux que de dormir. J'écoute, pleine de curiosités.

Je suis suspendue à la voix de maman, et j'épie ses va-et-vient et me tiens prête à regagner mon lit, si elle a la mauvaise idée de venir vérifier ce que je fais. Et ça arrive....




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mardi 27 novembre 2012

*De là, d'ici, d'ailleurs, de très loin, comment traduire le mot exact......


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De là, d'ici, d'ailleurs, de très loin, comment traduire le mot exact, le plus justement possible, là où la vie est dans son plein épanouissement, mais encore en demi-teinte d'aussi loin.

Les mots m'appellent comme par magie, par jeu.

Hésitante, je cherche, patiente, concentrée.

Je poursuis ma quête mystérieuse, infinie, pour comprendre, dans cet univers à recomposer, lettre après lettre, image après image, j'essaye de les transcrire pour ne pas trahir la pensée, et j'évolue dans ses chemins pourtant sinueux. Encore possible.

Je bondis telle une chevrette gambade dans l'enclos, et j'abandonne les mots, libres à eux de demeurer à jamais sur la page, ou pas, souhaitant pourtant qu'ils parlent pour moi, le mieux possible, d'un temps achevé, mais conservent encore le goût de la vie à transmettre.

Je lis la vie ordonnée dans ces cartes postales presque centenaires, dans ces documents retrouvés, vestiges infinis qui racontent l'histoire de notre famille.

Leur vie est colorée comme un fruit mûr, et je tourne les pages de la mémoire bouleversée par ce temps...

Je n'écorne pas la pensée.
Je dis ce que je lis. Je dis ce que je sens.
Je dis ce que je croie.





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lundi 26 novembre 2012

*C'est la fin de la guerre....


Cette dernière missive est très importante pour moi.

Juliette a envoyé ce courrier,  fin décembre 1918 probablement,  
ou au  début du mois de janvier 1919, 
puisqu'elle souhaite à Léon une bonne année.....

Missive pleine d'émotion par sa réalisation : 
à l'intérieur d'une enveloppe confectionnée avec un très joli tissu transparent 
brodé de deux somptueuses pensées, 
Juliette a glissé avec amour une carte rectangulaire 
de 7,5 cm sur 4,5 cm "Bonne Année" au nom des enfants et en son nom.

"Reçois notre cher papa, tous nos meilleurs voeux de bonheur, prospérité et bonne santé, 
et que bientôt nous aurons le bonheur de te faire de bonnes  bises de bien près, 
et pour toujours nous serons ensemble ;

nous serons les plus heureux du monde avec nos chers enfants 
qui languissent de faire des doux bisous à leur papa chéri".

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C'est la fin de la guerre. L'armistice a été signée le 11 novembre 1918,
........ et Léon ne sera libéré qu'à partir du 31 janvier 1919.

Den


*De Juliette.. (non datée)

Juliette écrit :

Mon bien cher Léon chéri,

"Je veux t'écrire deux mots afin de te souhaiter une bonne et heureuse année, ainsi que nos chers enfants,
nous languissons beaucoup que le fameux Janvier s'écoule au plus vite ; enfin nous voilà à la fin.
Quel bonheur que nous allons goûter ; chose que nous attendons depuis si longtemps.
Nous allons nous remettre au travail, et travailler autant que nous le pourrons afin d'en retirer un bon résultat.

Adieu et au revoir mon cher Léon, bonne et heureuse année et bonne santé, et vite le 31 janvier 1919".

Juliette




*Le 22 décembre 1916 - Juliette écrit "joyeux noël"


Le Tholonet, le 22 décembre 1916, Juliette écrit : Joyeux Noël..

Mon Cher Léon bien aimé,

Hier je suis allée à Aix pour toucher mon allocation ; 
j'ai porté les olives chez B... à  Aix, près de la Mairie : il y en a 55 kg ... ; 
je change, on me donne 11 litres d'huile.

Mon très cher Léon bien aimé, je te dirai que je n'ai encore rien dit à Mme A.. ;
je crois que je ne lui donnerai rien car le papier est fait pour le blé et l'avoine... je ne lui dois plus rien.

Qu'en penses-tu ? dis-moi comment il faut faire ?
J'attends une réponse à ce sujet ;
je suis partie à 9 heures et demi, et à midi vingt j'étais de retour ;
j'ai eu beaucoup de peine, et après j'ai eu  du regret..
aujourd'hui les bras me font bien mal ;
heureusement que dans la rue Thiers j'ai rencontré Félicie : elle m'a aidée jusqu'au moulin,
car il aurait fallu les laisser en panne.. Je n'en pouvais plus ;
Félicie m'a dit que j'étais folle, que je pourrais prendre mal ;
aussi je ne lui donne rien, je garde l'huile pour nous.

A ta mère je lui en ai donné un panier, pour X je lui donnerai un demi-litre d'huile.
Hier je t'ai envoyé une lettre, (avant-hier soir je l'ai commencée), puis à Aix je n'ai pas pu la finir car les gens de dessous allaient à Aix l'après-midi,... on m'a soigné mes petits, et j'ai vite été de retour ;
demain je vais chercher l'huile ;
j'ai reçu tes trois charmantes lettres des 14,16 et 17, avec plaisir...
(Mme G... m'a prêté un charreton...)

De la petite Nini qui t'adore. 
Emilienne, Marcel, Justin et Juliette G.

Cet après-midi je te ferai une longue lettre.
Reçois de tes quatre chers petits anges, mille bonnes caresses de tous.
Je pense recevoir aujourd'hui ta lettre du 18.
Plus douces caresses.

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dimanche 25 novembre 2012

*Du camp, le 27 janvier 1917 - 7 h du soir....


du 27 janvier 1917 - 7 h du soir
de Léon du camp.

"L'amour brûle tout ainsi qu'un éclair, seul un doux baiser apaise la chair"

Bien chère petite Juliette chérie, bien chers petits enfants bien aimés.

"Deux mots pour vous donner de mes nouvelles, bonnes pour le moment, et croire que la présente vous trouvera tous en parfaite santé.

Aujourd'hui, je n'ai pas reçu de lettres ; il n'y en avait presque pas pour la Compagnie; X.. languit d'en recevoir de sa femme. Je crois que depuis qu'il est arrivé, il n'a reçu qu'une lettre d'elle et une de son petit.
Le temps est toujours très froid, il gèle tous les jours... on se dirait de marcher sur du ciment. Ce n'est pas la température du Midi...

Embrasse bien nos chers petits anges pour moi, en attendant d'aller vous embrasser de bien près.

Doux baisers sur tes lèvres roses.
Bien des compliments aux parents.
Léon ta moitié qui vous adore du fond du coeur".




*Léon écrit à Juliette le 29 décembre 1916 à 17 h 15...


le 29 décembre 1916 - 17 h 15 au soir,
de Léon

bonne année !

Bien chère petite Nini chérie, et bien chers petits enfants chéris,

"Aujourd'hui je n'ai pas reçu de lettre depuis ta carte du 22, plus rien de toi.

Comme tu me disais que tu avais beaucoup mal aux bras d'avoir porté les olives,
 j'ai peur que tu sois fatiguée ;
sur ta carte tu me disais que l'après-midi tu me ferais une longue lettre, et ça fait trois jours que j'ai reçu ta carte, et la lettre, je ne l'ai pas reçue..
Peut-être qu'elle est restée en panne, ou elle aura fait fausse route ;
 ce qui me fait perdre courage,
c'est que Théodorine me dit sur la lettre du 24 que tu vas arriver avec les enfants et que vous allez souper.

Un million de tendres baisers à tous.
de ta moitié.

Léon

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*Une agréable surprise....



du 29 décembre 1916 au matin,
de Léon.

Une agréable surprise..

"Je pense en recevoir une demain, sinon je me ferai du mauvais sang pour vous autres..

Ce soir nous avons mangé le colis d'Aurélien tous les trois avec A.... -
nous avons fait un bon souper.

Il y avait du poulet et un pot d'olives d'Eguilles, des dattes, du nougat
et une pompe à huile ;
après nous avons été boire un café avec une goutte de cognac
et fumer un paquet de cigarettes qu'il avait reçu ;
ça nous a fait passer un peu le cafard d'être un peu tranquilles tous les trois,
nous parlons un peu de chez nous.

Nous sommes toujours ici, il semble que nous devions embarquer  le lendemain
de notre arrivée, et il y a huit jours après demain  que nous sommes arrivés,
et il y a juste un mois aujourd'hui que j'arrivais de permission,...
 et dans deux mois je pourrai être encore de retour"....

Doux baisers". 
de Léon


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de Léon à Emilienne, Marcel, Justin le 27 décembre 1916

Le 27 décembre 1916 de Léon

Bien chère petite Emilienne, bien cher petit Marcel,
et le plus petit, bien cher Justin,

Vos trois lettres que j'ai reçues il y a quelques jours m'ont beaucoup fait plasir,
et votre jolie carte de bonnes fêtes de Noël que vous m'avez envoyée avec votre petite maman, vous êtes  bien sages....

Je vous souhaite à tous les quatre, bonne et heureuse année, bonheur, santé et prospérité, et je vous envoie une jolie petite soeur sous le parapluie...


Votre papa qui vous adore.

Léon G...


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* de Léon à Juliette : le 19 août 1916 du camp

du 19 août 1916 du camp  
de Léon, sur une carte "fidélite".

Ma bien chère petite Nini chérie, chers petits enfants bien aimés,

"J'ai reçu aujourd'hui avec grand plaisir ton aimable lettre du 16, ce qui m'a fait grand plaisir, où tu me dis que tu as été voir Aurélien, dimanche, avec le petit Justin, et que lundi vous y avez été avec Emilienne et Marcel.

Tu me dis que le petit cadeau que je t'ai envoyé te plaît beaucoup, tu me diras si
la petite bague te va bien, si elle n'est pas trop petite ; pour ce que je t'ai dit... que B.... te porterait.... il ne peut pas le porter car il n'ira pas à Aix, ... que les derniers jours de sa permission....., et il a peur de le perdre. A.... me l'avait dit, qu'il n'était pas serviable, j'ai compris que c'est vrai..
il cherche des histoires... je te l'enverrai une autre fois, quand j'en aurai l'occasion.

Mille tendres baisers à tous les quatre du fond du coeur".

Léon G...



(j'ai reçu aujourd'hui une carte du petit Emile. Bonnes caresses à tous)
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samedi 24 novembre 2012

* Le 29 juillet 1915 de Léon à Juliette (de Récicourt)


Le 29 juillet 1915,
de Léon,
de Récicourt 

Ma très chère petite moitié chérie, et mes chers petits enfants bien aimés,

"Ce matin nous avons été à une prise d'armée pour la décoration de plusieurs officiers à Dombasle.
J'ai reçu aujourd'hui une carte de Germaine, et une lettre de Théodorine, les deux du 25 juillet.

Ma chère, elles disent que le beau-frère de M. le Curé est en permission.. ça nous mène encore plus loin que la Noël, avant que tous y passent, mais enfin, il faut avoir espoir d'y aller après la guerre.

Je t'embrasse du fond du coeur, ainsi que mes chers petits enfants chéris.

Ton mari qui t'aime".

Léon G...

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vendredi 23 novembre 2012

*Le 16 Juillet 1915 de Léon à Juliette...



Le 16 Juillet 1915, de Léon (rendez-vous chasse - Argonne)

"A Madame Léon G.. au Tholonet, Campagne Raoulx, par Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Une pensée du 3ème de ligne.

Reçois de ta chère petite moitié un million de fortes caresses.

Ton mari qui t'aime pour la  vie".

Léon.




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jeudi 22 novembre 2012

*Verdun....


Léon, comme tant d'autres jeunes hommes, est mobilisé bien que père de famille.
Il part ; il est fait prisonnier.

A l'arrière d'une colonne, avec d'autres soldats, ils observent l'ennemi.

Léon est retranché dans un fossé.

Un obus est passé. Un sifflement, puis deux... puis une détonation, puis deux...

Ce n'est pas loin.

On dévale le talus jusqu'au fond du fossé, apeuré par tant de misère, de cris et de douleurs.

L'ennemi jette une grenade qui explose non loin de là.

Les silhouettes des poilus sont frêles, voûtées, tourmentées par l'éloignement et la solitude.

On vit la guerre, on a peur pour soi, pour sa famille, on brûle des cartouches ; on ne rechigne pas à la tâche, comme des millions d'autres soldats ; on prend des ordres, on obéit.

Des cadavres s'amoncellent chaque jour un peu plus, recouverts de terre. Ensevelis ou pas.

Il fait chaud, on a soif. La chaleur, la peur inondent leurs fronts.
Deux nuages noirs dominent leurs têtes, au-dessus des tranchées.

Demain matin, il y aura du café, un vin trop glacé à même le bidon, et du pain trop dur.

On se traîne.. on avance de trou en trou.
On ne montera pas le talus.

A Douaumont, les bombardements sont nombreux.
Les obus tombent drus. Léon reste allongé ou en position du foetus, au fond du trou.

Les obus le suivent, criblent la terre, obstruent les oreilles.

Une torpille à fusée retardée s'enfonce loin en terre où elle éclatera en un cratère énorme détruisant par chance pour Léon, d'autres abris, d'autres tranchées.

Une grêle de balles s'abat dans les branchages. Plus de branchages.

Une main tendue qui demeure fébrile cherche les baisers de sa femme et de ses petits enfants. Léon réconforté par cette attente, serre les dents.

La tranchée est hérissée de fils de fer barbelés auxquels restent accrochés longtemps des lambeaux d'étoffe de couleur claire, bleue, rouge ou grise.
C'est la guerre.

Aujourd'hui, il a plu, et la boue est partout. Dans les godillots, les poches, les sacoches. Gluante, marron clair est la boue.

Les pieds des soldats les font horriblement souffrir, couverts de salissures et d'ampoules.

Le ventre est vide et crie famine.
Verdun.
Sa bataille s'étend du 21 février au 19 décembre 1916.


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Le gris du temps se répand sur la page de l'autrefois abreuvé de discours, et recouvre toutes les choses de la vie,  même les plus moches, et les effiloche.

Je glisse, et je longe l'allée dans une lumière bleutée-rosée-mauve-pastel, et j'accroche à nouveau mon regard sur une couleur soudainement redevenue vive.

Une photo se fige sur un papier glacé brillant de mille feux.

Je marche vers le bonheur.

Profondeur du coeur.

Den


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*La guerre...

Le Président Poincaré abrège son voyage à l'étranger.

On est en juillet 1914. La situation est grave.

La mobilisation est fixée au dimanche 2 août.

Le lendemain, 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France.

Justin n'a pas trois mois, et pourtant cet été là demeure un été inoubliable bien que catastrophique, parce que luxuriant, estival, un air de je ne sais quoi se balance dans le ciel d'un bleu soyeux, poudré, les journées sont douces, parfumées, radieuses, juste avant la déclaration de la guerre.

Les jeunes en âge de partir, les réquisitionnés, ne souhaitent pas rater cette expérience aussi étonnante qu'excitante. Ils se pressent autour des drapeaux, désireux sans limite de sauver leur pays, entassés dans des trains qui les mènent souvent à la mort. Ils découvrent pourtant là une guerre bien différente de ce qu'ils croient.


Den

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*La guerre 1914-1918


Elle ne sait pas grand chose des réalités, quand elle arrive la guerre.

Elle sert encore une illusion, le rêve d'un monde juste et pacifique. Elle le souhaite. Elle l'espère.

Le commun des mortels ne sait rien d'elle. Il ne la connaît pas. Il n'y pense pas. Elle reste une légende, et c'est à cause de cela qu'elle est héroïque.

Elle est celle qu'on lit dans les livres d'histoire ou de lecture scolaire, que l'on raconte, ou que l'on décrypte sur les tableaux accrochés aux murs des musées, avec ses attaques et ses uniformes rutilants, ses morts généreux offerts à la Patrie, la fleur au fusil, vers une victoire, assurément.

Derrière la vitre. Derrière le voile.

Elle arrive mal à propos. Comme un intrus que l'on n'a pas invité.

Elle est ignorante la guerre.
Et on l'ignore...


Den



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mardi 20 novembre 2012

*Le Tholonet... Beaurecueil.....

Pour l'heure deux des soeurs de Léon, Germaine et Claire habitent le Tholonet, dans le  village même, et leur rendre visite au moins une fois par semaine, ce n'est pas un  problème !

Germaine mariée à Marius, ont eu une fille Renée qui épousera Paul V. ; Jean-Pierre et Louis leurs enfants, habitent toujours Beaurecueil et le Tholonet, au pied de la montagne de la Sainte Victoire.

Théodorine, la troisième soeur de Léon a épousé Joseph F.. qui tient le bar rue d'Italie, dans le centre d'Aix ;
ils ont eu deux enfants, Kléber et Clémence.

Claire, mariée à Louis aura un fils Emile, qui épousera Denise.

Den




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lundi 19 novembre 2012

*Chantent l'impénétrable à rejoindre ce temps perdu à jamais...



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J'ai vu avant de raconter.....

Mes yeux ont retrouvé l'innocence et la candeur mystérieuses d'où s'évapore la quête ténébreuse entre les pages sublimées, chantent l'impénétrable à rejoindre ce temps perdu à jamais des vendanges, des cueillettes de champignons, des jeux d'enfants près des marronniers à la Fromentane, des oiseaux envolés des arbres en cascade, suivis de longues minutes à contempler l'horizon, à les poursuivre de loin, traversent la journée, posée à se remémorer les joies toutes enfantines, cachée dans le verger, à l'abri des regards, perdurent dans le mistral subtil, mais agité, souffle trois, six, ou neuf jours, jusqu'à l'ombre disparue des miens, se retrouvent à jamais dans le livre écrit pour eux.

Den




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dimanche 18 novembre 2012

*Le bonheur

De cette époque mes grands-parents paternels n'ont conservé aucun document.

Ces documents ont-ils été perdus, égarés ? A mon grand regret.

En réalité, c'est son frère aîné Marcel qui aurait dû être libéré à la place de Justin. Je ne sais pour quelles raisons le choix a été porté sur mon père, par bonheur pour lui, au lieu de mon oncle.

Pour l'instant on parle de bonheur retrouvé puisque la guerre se termine.

Le bonheur, le vrai, leur bonheur, il prend vie le 3 avril 1945... le 3 avril 1945..

De ce jour je retrouve une photo. Mon père et ma mère, en habits de fête, se disent oui, entourés de Paul, un des frères de papa, en pantalon foncé, chemise blanche, et cravate, les manches retroussées, et Yves, l'avant-dernier fils de la famille G.. , en chasseur alpin semble-t-il.. Le béret plaqué sur le côté de la tête, un large ceinturon sur la taille épaissie. Tous charmants, bien coiffés, de beaux visages réguliers, magnifiquement hâlés comme à la campagne, une vie en plein air.

Mes parents sourient à la vie qui les attend, heureux, même si un coin de nostalgie subsiste dans leur coeur.

La fin de la guerre est annoncée officiellement le mois d'après le 8 mai.

Papa porte un costume foncé, une chemise blanche, il est cravaté, sentant assurément l'eau de Cologne ambrée aux essences naturelles comme il aime, rasé de près ; je ne suis pas encore née, et je n'ai donc rien vu de tout cela, mais j'imagine le trac, la joie engendrés par ce jour mémorable.

Maman porte un ensemble blanc-écru, joliment serré, qui  permet la taille fine, certainement rehaussé par une lingerie féminine redevenue à la mode depuis, une culotte galbée, gainante, toute douce, ainsi qu'un soutien-gorge obus, des porte-jarretelles symbolisent le mystère, la pureté, ornés d'une fine dentelle, tous trois invisibles, sous des vêtements à la couleur virginale, laissent présager la simplicité de leur union dans un amour infaillible.

Ce devait être...


Den



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samedi 17 novembre 2012

*La scarlatine...

Le temps d'une fréquentation normale, comme à l'époque, et traditionnellement, d'un an au moins. Avant l'union, le mariage.

1942-1943.

Des fiançailles, il n'y en a pas eues, officiellement ; pas de jour de déclaration en cette période de guerre, mais une promesse d'intention d'union, avec une remise de bague splendide, finement ciselée en or blanc, sertie de pierres brillantes, en signe d'amour, que maman continue de porter avec respect et fierté.

Une intention de mariage... il n'y a eu qu'un pas, franchi avec allégresse et bonheur.

Un pas, c'est vite dit, car maman contracte accidentellement la scarlatine ce qui retarde le mariage d'un an, et s'ensuit alors une mise en quarantaine suffisamment longue pour ne pas s'épouser comme on l'a souhaité en 1944.

Maman se remémore rétrospectivement la forte fièvre déclenchée par cette maladie infectieuse causée par un streptocoque virulent, -la pénicilline et la cortisone utilisées, ou pas-, maman ne s'en souvient pas ; des violents maux de  gorge l'empêchant d'avaler : maman de ça elle s'en souvient, et de la crainte panique des soins antiseptiques au bleu de méthylène au fond de la gorge, avec le coton coïncé entre les lames acérées d'une paire de ciseaux. Puis la grande fatigue qui s'en est suivie, seule, isolée dans la chambre, les visites interdites pour quiconque, notamment de son promis.

C'est encore la Seconde Guerre Mondiale étalée sur six ans, du 1er septembre 1939 au 8 mai 1945.

Là dans ce milieu, et à la campagne, on ne connaît pas grand-chose de l'Histoire de France... des tenants et des aboutissants de cette guerre,... si ce n'est qu'elle est sûrement inutile, inhumaine, et qu'il y a trop de morts... Regrettant peut-être, et seulement cela, de ne pas avoir pu éprouver l'engouement ressenti par leur père lors de la Grande Guerre de 14-18, de laquelle il a été difficile de se soustraire... entraînant un énorme désir de solidarité et de partage, une envie irrépressible de participation à l'Histoire Universelle avec des individus liés dans une masse ardente... et tout cela dans un souhait irréfrénable de fraternité rassemblée en un moment unique.

... et ainsi gommer les différentes barrières de classes, de langues, et de religions.

Cette guerre a donné du sens à la vie parfois insignifiante de chacun, incorporé à une masse devenue héroïque.

Maman quant à elle,  n'oublie pas le mois de septembre 1939 où la France et le Royaume-Uni ont déclaré la guerre à l'Allemagne.

C'est le début d'un long calvaire.

Là, et  maintenant, ce n'est pas le même chant que l'on entend, pas comme en 14.
On connaît la guerre, celle qu'a vécu le père de Justin, mon grand-père Léon.

On ne s'illusionne plus. On ne parle plus de romantisme, d'idéologie, mais d'une aventure barbare,
bestiale même. Virile.

On sait qu'elle sera longue cette épreuve, qu'elle durera.

On a vu tout cela dans les journaux, les films, les documentaires, des livres.

Et puis on sait qu'avec les nouvelles techniques d'aujourd'hui... elle va être ignoble, inhumaine...

On ne croit plus à grand chose, ni en sa justice, ni en une hypothétique paix durable consécutivement. On ne s'illusionne plus.

On sait, parce qu'on nous  les a racontées, dit Camille, les déceptions, la misère qui ont suivies, la famine, la désolation, la chute de la monnaie, l'insécurité ... la méfiance de tous pour tous.. parfois l'enrichissement de certains..

Papa a vécu l'autre guerre... la seconde guerre mondiale, trop longue, absurde à son goût, mais il n'avait pas d'autre choix, du temps perdu, il a été fait prisonnier en Silésie, dans une ferme. Il a souffert évidemment d'être séparé des siens, mais il n'a pas souffert vraiment de la faim, il travaillait la terre.. il a même failli épouser une fille de là-bas. Il plaisante avec cela, taquinant maman. Ensuite il a été libéré comme soutien de famille et a rejoint avec bonheur sa famille en Provence, à la Fromentane, de nouveau.

Et il a connu Camille.

Den



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*Juju...

Aix-en-Provence

A l'aube de ses vingt-et-un ans, en septembre 1942, à la rentrée, maman rencontre pour la première fois mon père. Il a sept ans de plus qu'elle. Elle le revoit encore aujourd'hui, heureuse de retrouver son image dans un coin de sa mémoire, dans son petit pardessus bleu marine, chacun de son côté regardant le manège tournant à fière allure, en bas du Cours Mirabeau.

Maman n'avait jamais rien vu de pareil. Les chevaux de bois, qui montent et qui descendent, les enfants qui tentent d'attraper la queue de Mickey pour gagner un tour supplémentaire, les autos-tamponneuses, la roue là-haut dans le ciel, les couleurs bariolées, les rires des enfants, les cris des adultes, les barbes à papa, les pommes d'amour, les confettis lancés par un inconnu qui vous trouve jolie, le vent dans les cheveux, et puis, et puis... Tout cela grise Camille, et elle a la tête qui tourne, par tout ce monde, ce bruit... elle n'a pas l'habitude.

De plus, ce jeune homme sympathique semble à son goût, et lui apparaît très gentil... très attentionné.

"voulez-vous faire un tour de manège ?"
"non, pas sur celui-là, il monte trop haut".
"Je m'appelle Justin. Et vous ?"
... "Camille" elle répond..

Gentil papa opte pour le plus petit des manèges, celui des enfants, entraînant sa belle dans un rire communicatif.

Belle, elle l'était Camille dans sa robe de fin d'été, pas encore automnale, il fait chaud en septembre en Provence, et Juju n'avait d'yeux que pour elle. Belle, elle l'est restée pendant plus de cinquante ans avec lui.

C'est dire que ce fut une belle et longue histoire d'amour.

Je les ai connus, jeunes, beaux, amoureux, moins jeunes, vieillissants, mais l'amour que l'on porte à ses parents est sans âge.
Il demeure éternel.

Papa a  rejoint les étoiles à la fin de l'année, il y aura dix ans cet hiver.

Sa présence est constante en nous. En bon papa, il continue de nous protéger.

Nous ne l'oublions pas.

Il ne parlait pas énormément Justin, mais chacun savait ce que l'autre pensait. Pour ça, nous nous entendions bien.

Les temps changent. Les époques aussi.
Un père reste un père.

Il nous montre le chemin, et même si nos voies parfois s'éloignent, pas longtemps, un peu, sans que l'on sache parfois pourquoi, les enfants doivent vivre leur vie... il demeure en nous une infinie parcelle d'amour.

Indestructible.

Une belle histoire entre Juju et Camille, mais on n'est qu'au début de leur histoire.

Den

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vendredi 16 novembre 2012

*Camille, gouvernante ; du Chambon-sur-Lignon à Aix-en-Provence....

Vu les excellentes références de Camille, Madame R.... souhaite vivement employer maman, dès sa majorité, en décembre 1942.

Elle s'occupera de ses sept enfants sur Aix-en-Provence, comme gouvernante.

Les R... comme on dit, globalement, la famille R... contrairement à maman, sans famille, sont issus d'une famille aisée.
De plus, aller dans le midi, quelle chance ! maman rougit de plaisir, impatiente.

Un bel avenir lui est promis, après ces années de début de vie quelque peu difficile.

Une éclaircie semble se profiler dans son ciel. D'ailleurs ne le sait-elle pas Samille ?

Maman a toujours cru en sa bonne étoile, et elle a bien fait.... mais ce qu'elle ne sait pas, en cet instant précis, c'est qu'elle va y rencontrer bientôt celui qui deviendra mon père, son futur époux.

Madame R.. est professeur de latin-grec au lycée des Prêcheurs à Aix, son époux, ingénieur des poids et mesures. De bonnes gens.

Ils habitent la Traverse Robert, dans le centre de la ville, perpendiculairement au boulevard du Roi René ; plus tard ils logeront au clos Cangina dans une belle et grande villa des années quarante, non loin des universités aixoises, pour l'heure avoisinant l'actuel Parc Jourdan.

Aujourd'hui de nouvelles constructions en ces lieux sont venues saccager ce coin tranquille, notamment des bâtiments de résidences étudiantes pas toujours de bon aloi.

Des musiques modernes s'échappent de leurs fenêtres, des écouteurs ou des casques vissés sur la tête des jeunes, remplaçant les gammes et les arpèges dans ce quartier anciennement bourgeois ; les morceaux de musique classique se sont envolés à jamais des jardins à la française.

Chez les R.... les enfants sont nés les uns derrière les autres. Un choix de vie assurément. Ce sont de beaux enfants.

Maman très appréciée par la famille toute entière, fera d'eux de magnifiques adultes bien élevés.

Les parents possèdent une résidence secondaire familiale au Chambon-sur-Lignon, à la Celle, un quartier huppé.

C'est là qu'ils établissent leur quartier général durant les vacances d'été. En nombre, puisqu'ils se déplacent, papa, maman, et les sept enfants. A neuf donc.

Ils y ont connu Camille, non loin de chez eux, à Tence, et cela par connaissance ou lors de rassemblements religieux ; il n'aurait pas pu en être autrement, dans ce milieu fermé.

Plus tard, leur gouvernante Camille, se déplacera avec eux d'Aix au Chambon, aller-retour. A dix donc.
Toute une épopée !

Den





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jeudi 15 novembre 2012

*Quand l'oeil a surgi de la la montagne...


Quand l'oeil, tout en douceur a surgi de la montagne,
Ahuri je crois de voir tant de beauté,
Comme un enfant découvre un spectacle magique, étourdissant, fantaisiste,
Je suis redescendue par le chemin tortueux qui mène à la vallée,
Suspendue comme on peut traverser l'orage...
Il y avait des gouttes grosses comme des diamants,
Des rigoles et des pierres, grises comme des souris,
Des fleurs éclataient de rire sur mon passage,
De me voir autant dépenaillée, comme un gueux l'est,
Déchirée, en lambeaux.
J'ai marché sous le pont à l'abri des tonnerres de Dieu... 
Et l'oeil de la montagne pétillait toujours... pétillait,
Abandonnant ses soucis, ses larmes-crocodiles déversées
Au pic du sommet, à la porte du ciel,
Ombré d'étoiles fines, colorées.

J'ai pu écrire en mots, la beauté, la splendeur,
Raconter à l'encre d'antan, dans l'autrefois,
A la tombée de la nuit,
Quand l'oeil s'est évanoui derrière l'horizon,
Contournant délicatement une dernière fois le peut-être, ou le pourquoi pas,
Par le sentier et l'herbage à traverser l'espace,
Toujours dépenaillée, mal fichue, 
Mais heureuse d'avoir croisé son regard lumineux à l'oeil,
Scintillant comme le sapin de décembre embrase à Noël d'amour la maisonnée, les enfants,
Puis la nuit avançant, harassée,  a pailleté de merveilles la lune et les pierres nacrées,
Les cimes enfin, là où le silence respire mille parfums.

Den

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